15 декабря 2021 г.



Rizvan HOUSSEYNOV. "Héritage chrétien du Karabakh comme pomme de discorde: regard sur l’histoire du problème" // Revue "Irs-Héritage", N° 13, automne-hiver, 2021, pp. 20-29


Une nouvelle ère s’est ouverte dans l’histoire du Caucase du Sud, après que l’Azerbaïdjan ait libéré ses territoires de l’occupation arménienne à l’automne 2020, résultat d’une guerre de 44 jours. C’est une aubaine pour la résolution du confl it arméno-azerbaïdjanais, qui régulièrement s’embrase depuis plus de cent ans. Les ruines de milliers de villes et villages, de cimetières, de mosquées, d’églises ou autres monuments architecturaux historiques sont visibles dans les territoires libérés. Désormais, la restauration de tout ce patrimoine est bien amorcée, notamment des sites religieux et historiques.

Dans ce contexte, certains intérêts étrangers expriment leur inquiétude quant à l’avenir et au sort réservé aux monuments chrétiens du Karabakh, les classant tous, à tort, dans le patrimoine spirituel et architectural arménien. L’Azerbaïdjan, rappelle qu’une grande majorité de ces édifi ces religieux appartiennent à l’héritage chrétien de l’ancienne Église autocéphale albanaise, de la période de l’ancien État d’Albanie du Caucase (ou Aghbanie), et en particulier du peuple Oudi, qui a conservé sa foi albanaise et une partie de sa mémoire historique à ce jour. Le processus de réhabilitation de l’Église apostolique autocéphale albanaise, s’appuyant sur les communautés chrétiennes albano-oudi d’Azerbaïdjan, est aujourd’hui en cours dans le pays. La première étape fut de répertorier, en 2003, la communauté chrétienne albano-oudi de la République d’Azerbaïdjan, puis en 2010, de recenser la communauté chrétienne Oudi de la ville d’Ogouz (1). Ces communautés rassemblent des milliers de chrétiens et comptent à leur actif plusieurs églises. Les territoires occupés maintenant libérés, les églises chrétiennes albanaises peuvent faire l’objet d’une restauration et certaines d’entre elles seront restituées aux communautés chrétiennes d’Azerbaïdjan.

À cet eff et, il est nécessaire de brièvement présenter ici l’histoire de l’Albanie du Caucase, de l’Église autocéphale albanaise et de l’arménisation postérieure de ce riche héritage. L’antique Albanie du Caucase (dénommé Aran à l’époque), a existé sous la forme d’un État (IVe siècle av. J.-C. - VIIIe siècle ap. J.-C.) pendant plus de 1 000 ans. Le millénaire suivant (jusqu’au XVIIIe siècle), elle était une association de petites entités semi-indépendantes. L’État albanais de l’Antiquité, jusqu’au début du Moyen Âge, se localisait à peu près dans les mêmes limites géographiques: de la rivière Araz au sud, aux contreforts de la chaîne du Grand Caucase au nord. Il a joué un rôle prépondérant dans l’histoire des peuples du Caucase.

À certaines périodes, les frontières de l’Albanie du Caucase longeaient la rivière Koura. Parfois, elle était divisée en plusieurs entités étatiques. Au Moyen Âge, des chahs et atabeks d’Aran et autres dirigeants y ont régné.

Le peuple azerbaïdjanais est l’un des principaux héritiers du patrimoine historique et culturel de l’Albanie du Caucase historique, dont les limites territoriales coïncident à peu de choses près avec les frontières actuelles de la République d’Azerbaïdjan. De nos jours, en histoire, le nom Albanie, tiré du grec ancien (en grec, Αλβανία), est la forme utilisée la plus répandue, cependant, le nom original est Aran (ar-Ran, Ran) (2).

Les premières informations sur la population de l’Albanie du Caucase sont relevées dans l’ouvrage de l’auteur de l’Antiquité Arrien (Lucius Flavius Arrianus) Campagnes d’Alexandre, qui relate la participation des Albanais dans l’armée achéménide contre les troupes d’Alexandre le Grand à la bataille de Gavgamel en 331 avant J.-C. Par conséquent, même au IVe siècle avant J.-C. les Albanais (les Aghvans) étaient célèbres pour leurs exploits militaires. Selon Strabon, la nation albanaise était formée de 26 tribus, dont chacune avait autrefois sa propre langue et son propre souverain, plus tard, en raison de leur unifi cation, elles étaient sous l’égide d’un seul roi (3).

L’écriture albanaise a joué un rôle prééminent dans la propagation et l’implantation du christianisme dans la région, grâce à laquelle la Bible et d’autres littératures théologiques ont été traduites des langues syrienne et grecque à partir du milieu du IVe siècle. La preuve en est le parchemin albanais découvert en 1996 dans le monastère de Sainte-Catherine sur le mont Sinaï par Z. N. Aleksidze (correspondant de l’Académie géorgienne des sciences). Comme l’a noté Aleksidze, la découverte du lectionnaire complet dans le Sinaï en écriture albanaise est une indication directe de la présence d’une écriture chrétienne développée en Albanie. L’académicien Aleksidze écrit que l’information contenue dans diverses sources, concernant l’existence de traductions en langue albanaise des livres des Prophètes, des Évangiles et de l’Apôtre, a été pleinement confi rmée par la découverte faite au Sinaï. Un lectionnaire ne peut appartenir qu’aux peuples qui ont le texte complet de la Bible dans leur langue maternelle. « L’attention se porte également sur le fait que certains passages trouvés dans le lectionnaire albanais ne se retrouvent pas dans les anciens lectionnaires arméniens et géorgiens. Ce détail indique que le lectionnaire albanais n’est la traduction d’aucune de ces langues, mais qu’il a été composé indépendamment, sur la base du lectionnaire grec actuellement perdu », constate Aleksidze (4). Il faut noter qu’au VIe siècle, le Catholicos arménien Babgen (Babgen I Votmsetsi) écrivait à propos du christianisme des pays du Caucase : «Nous avons une foi, comme nous vous l’avons écrit plus tôt, en accord avec celle des Géorgiens et des Albanais, chacun en sa propre langue.» (5)

Du VIIIe au XIIe siècle, les entités étatiques et l’église albanaises se sont progressivement aff aiblies. L’invasion arabe et le fait que les dirigeants arabes cherchaient à soumettre l’église albanaise à l’église arménienne, devenue à cette époque responsable des intérêts du califat en Asie Mineure et dans le Caucase, a joué un rôle important. À cet égard, il convient de noter que Gandzasar a été mentionné pour la première fois au milieu du Xe siècle par le Catholicos arménien Ananiy Mokatsi dans le message de l’Église «À propos des troubles dans la maison d’Aghvank», où le souverain de Gandzasar est également répertorié parmi les dignitaires albanais indépendants de l’Église arménienne (6). L’existence du patriarcat de Gandzasar est mentionnée dans les commentaires de la traduction du Livres des Histoires par Arakel Davridzhetsi, auteur du XVIIe siècle, qui écrivit «Des trônes patriarcaux existaient également à Jérusalem, Sis, Akhtamar et Gandzasar» (ce dernier a été défait au début du XIXe siècle) (7). 

La période suivante, des XIIe et XIIIe siècles, souligne le déclin du califat arabe, au cours duquel le pouvoir est revenu aux tribus turques. La propagation de la domination turque en Asie Mineure et dans le Caucase a permis à de nombreuses communautés et dirigeants chrétiens de se renforcer, car les dirigeants turcs étaient fi dèles aux non-musulmans, et, souvent eux-mêmes chrétiens.

Cette période marque également le développement de la principauté albanaise de Khatchen et du patriarcat dont le centre névralgique se situait à Gandzasar, lieu où se trouvait la chaire du Catholicos albanais. À ce stade, un grand nombre d’édifi ces religieux furent bâtis, témoignant de l’essor de leur architecture. Les complexes monastiques sont la base même de cette architecture religieuse. Beaucoup d’entre eux sont construits à l’image des tombeaux ancestraux de grandes familles féodales. Les temples (encore aujourd’hui debout) en forme de dôme ont, pour la plupart, été construits au XIIIe siècle et font partie des complexes monastiques du patriarcat de Gandzasar.

L’aspect majestueux du temple de Gandzasar refl ète la richesse et la force de la principauté de Khatchen et l’espoir que la population chrétienne d’Albanie avait pour l’unifi cation des diff érentes entités et la renaissance de l’État albanais (8). Notons surtout que le souverain de Khatchen se faisait appeler Atabek, témoignant de l’empreinte turque et de son infl uence sur cette principauté semi-indépendante.

À partir de 1240, le rôle des évêques Gandzasar du clan Hassan Djalal s’est accru. À la fi n du XIVe et au début du XVe siècle, le monastère de Gandzasar devint le siège du Catholicos albanais. À cette époque, le catholicossat albanais prit le nom de Gandzasar. En 1634, le patriarcat de Gandzasar a été contraint de reconnaître la primauté du catholicossat d’Etchmiadzin (petite ville non loin de Erevan, Arménie), mais néanmoins, en matière d’ordination du Catholicos albanais, il continua à esquiver les primats arméniens. Malheureusement, aujourd’hui, le complexe monastique de Gandzasar, comme de nombreux autres temples situés sur le territoire du Karabakh, a subi de nombreux changements structurels, des restaurations dont le but ultime était l’arménisation de ce patrimoine spirituel, culturel et historique albanais. Par conséquent, nous ne pouvons juger de l’état d’origine et de l’importance de Gandzasar que d’après d’anciens manuscrits et livres, ainsi que d’anciennes études. Une large portion de faits peut être puisée dans la recherche scientifi que de l’académicien J. Orbeli (1887-1961) et dans les travaux de l’évêque Makar Barkhudaryants (1834-1906), où l’état des églises, des inscriptions et des épitaphes sur des pierres tombales est donné avant leur complète arménisation, qui a commencé dès le milieu du XIXe siècle et s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui.

Des fragments intéressants de l’histoire de l’Albanie du Caucase et des Albanais sont présents dans le livre Bibliographie choisie de J. Orbeli (Erevan, 1963). Le scientifi que y note que les Arméniens ont envahi l’Albanie, en particulier l’actuel Haut-Karabakh (principauté de Khatchen). Parlant de l’Arménie du Nord, Orbeli explique que ce terme fait référence aux terres d’Albanie et écrit : «Pour la description de la noblesse féodale du Caucase de cette époque (XIIe-XIIIe siècles), particulièrement précieuses sont les images de guerriers, armés d’une épée, d’un arc, d’un carquois, d’une lance, d’une hallebarde et d’une lance, avec un drapeau fl ottant sur le fond, guerriers qui se tiennent devant nous alors qu’ils scrutent les chaudrons et les reliefs et y trouvent certaines similitudes avec la décoration techniquement beaucoup moins parfaite des pierres brutes de croix de l’Arménie du Nord, ou plutôt - les régions du sud de l’Albanie saisies par les seigneurs féodaux arméniens, comme l’actuel Haut-Karabakh, et, en particulier, la zone adjacente à Gandzasar...» (9) Dans ses écrits, J. Orbeli fait état, à plusieurs reprises, qu’à Gandzasar, les noms des patriarches albanais, des princes et des personnes célèbres sont mentionnés sur les pierres tombales ainsi que diverses autres inscriptions.

Dans ses œuvres, J. Orbeli accorde une grande attention à la personnalité et à la période de règne du souverain albanais, le prince de Khatchensky Hassan Djalal. Aux XIIe et XIIIe siècles, au Karabakh (dans la région albanaise d’Artsakh), la principauté de Khatchen s’est développée. Selon J. Orbeli, elle «aisait partie de l’ancienne Albanie.» Le centre de la principauté de Khatchen occupait le bassin de la rivière Khatchentchaï et une partie de celui de la Tertertchaï. Hassan Djalal (1215-1261), descendant des Mihranides albanais, devint le souverain de la principauté de Khatchen. Hassan Djalal était le prince suzerain de Khatchen et d’Artsakh (d’une partie de-). Dans des sources concordantes arméniennes, géorgiennes et persanes, ainsi que dans des inscriptions épigraphiques, Hassan Djalal est doté de titres élevés:

Prince des princes, Roi d’Albanie ou encore Grand frontalier d’Albanie. Hassan Djalal, autocrate, se faisait luimême appeler Tsar. L’époque de son règne peut être considérée comme une période de renouveau économique, politique et culturel de l’Albanie. L’ancien monastère de Gandzasar existait bien avant Hassan Djalal et il fut le tombeau ancestral des souverains de Khatchen, les Djalalids. Hassan Djalal lui-même y est enterré. De 1216 à 1238, à la demande insistante du patriarche albanais Nersès, Hassan Djalal a fait construire la cathédrale de Gandzasar appelée, par Hassan Djalal lui-même, «la Cathédrale patronale albanaise.» Presque tous les (Catholicos-) patriarches albanais défunts sont enterrés à Gandzasar, comme en témoignent les épigraphes sur les pierres tombales (jusqu’en 1828).

Selon J. Orbeli et d’autres scientifi ques, le prince Hassan Djalal Davla avait des frères : Zakaria Nasr Davla et Ivane Atabeg (10). Comme on peut le constater, leurs noms et la référence aux atabeks d’Azerbaïdjan montrent clairement que ce clan princier n’a rien à voir avec les Arméniens. Il faut noter que le célèbre érudit français du XIXe siècle, Saint-Martin, a également écrit que les frères et l’entourage d’Hassan Djalal appartenaient à la famille Ildeghizide, les atabeks d’Azerbaïdjan (11). Dans les épigraphes de Gandzasar de la période du règne de Hassan Djalal, son titre est inscrit comme Atabek de Khatchen.

Dans l’article de J. Orbeli, Hassan Djalal, prince de Khatchen, il est noté que le monastère de Gandzasar (construit en 1216-1238) a été illuminé en 1240 en présence du Catholicos d’Albanie Nersès (12). Les documents et l’Évangile signés par Hassan Djalal, dont il a fait présent au Patriarcat albanais de Gandzasar, sont intéressants. Selon J. Orbeli, cet Évangile est maintenant conservé à la bibliothèque d’Etchmiadzin. Dans ces documents, Hassan Djalal raconte son voyage en Mongolie, chez Sartak, fi ls de Baty : «Moi, (Hassan Djalal Davla)… je suis allé chez le roi des soldats d’Orient... Ainsi, à l’été 1261, je lui ai remis ce saint évangile, décoré à la mémoire de la maîtresse aimante de Dieu (Mamkan, épouse d’Hassan Djalal) à notre saint trône radieux (monastère) d’Albanie, au père spirituel Nersès...» (13)

L’épouse d’Hassan Djalal, Mamkan, a fait construire un magnifi que gavit aux portes de cette église de Gandzasar : «Cette église a été consacrée en l’an 689 de l’hégire (1240 après J.-C.) dans le patriarcat de Nersès III, Catholicos d’Albanie.»

Quelques inscriptions sur les pierres tombales sont remarquables : «Tombe de Grégoire, Catholicos d’Albanie, 1102 (1653 après J.-C.)»  ; «Tombe de Jérémie, Catholicos d’Albanie du clan de Djalal Davla, 1149 (1700 après J.-C.)» ; «Tombe d’Isaïe, Catholicos d’Albanie, 1177 (1728 après J.-C.).»

Même à la fi n du XVIIe siècle, la population locale était appelée Albanais-Gandzasar. Le prêtre Apav, du village de Talysh, après avoir restauré les toits du monastère, y a laissé une inscription : «... avec nos justes fonds, sur le trône sacré du Gandzasar albanais, ils ont construit des toits et des murs d’églises détruites.» (14)

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le patriarcat de Gandzasar a progressivement commencé à perdre de son importance. Après la perte du pouvoir politique laïc, les représentants du clan d’Hassan Djalal restèrent néanmoins des dirigeants spirituels. Ils sont restés patriarches-Catholicos de l’Église indépendante albanaise jusqu’au début du XIXe siècle, lors de l’annexion de l’Azerbaïdjan du Nord à l’Empire russe.

Dès 1815, la dignité du patriarche-Catholicos d’Albanie a été abolie par un décret du Tsar. Le chef de l’Église albanaise devenait un simple métropolite. Puis, le 11 mars 1836, l’empereur Nicolas Ier a signé un décret spécial de 10 chapitres et 111 articles, réglementant la position de l’Église arménienne (15). Ce rescrit souverain abolit (16), en particulier, le catholicossat albanais (Patriarcat de Gandzasar), et établit (17), en lieu et place, deux diocèses (Artsakh-Choucha et Chemakha) sous la juridiction du catholicossat arménien (c.-à-d., du Patriarcat d’Etchmiadzin) et du vicariat de Gandja, dans le cadre du consistoire de Tifl is de l’Église arménienne.

En 1909-1910, le Saint-Synode russe a autorisé le Synode d’Etchmiadzin et le consistoire arméno-grégorien de Erevan à détruire les anciens dossiers d’archives des diocèses subordonnés. Apparemment, parmi ces archives, celles de l’Église albanaise, qui avaient jusqu’alors survécu, furent détruites.

L’évêque Makar Barkhudaryants a écrit sur l’état déplorable du monastère de Gandzasar à la fi n du XIXe siècle, alors qu’il était d’ores et déjà sous la juridiction de l’Église arménienne : «... le merveilleux monastère est en décrépitude morale et matérielle; les pierres tombent peu à peu et s’altèrent,... les précieux manuscrits sont pillés en grand nombre, les manuscrits restants sont devenus, comme nous l’avons vu, victime de l’humidité et de la négligence, les services ne sont pas rendus au monastère pendant des mois, faute de lettrés, d’écoles et de moines, ou même de simples lecteurs.» (18) D’après les informations données par M. Barkhudaryants, il devient clair qu’en 1828, l’Église albanaise comptait 9 évêchés dans la seule partie montagneuse du Karabakh et que toute son institution ecclésiale était «dans un état fl orissant» et que «des monastères étaient habités.» Et c’est seulement après l’abolition du catholicossat albanais que, perdant leurs communautés monastiques, les monastères se sont progressivement dégradés. Laissés sans surveillance, ils ont pour la plupart, commencé à s’eff ondrer. (19)

Le décret de 1836, de l’empereur russe Nicolas Ier, sur l’abolition de l’Église autocéphale albanaise et le transfert de ses biens (et notamment de ses ouvrages et églises) à la juridiction de l’Église arménienne, a eu des conséquences tragiques pour la culture et le peuple albanais. Avec la perte de l’indépendance de l’Église albanaise et la poursuite de la colonisation massive de la région du Karabakh (le territoire de l’ancienne Albanie du Caucase) par les Arméniens, le processus de grégorianisation (ou arménisation) de la population chrétienne locale (descendants des Albanais du Caucase) a débuté, et dès lors, les Albanais ont commencé à être considérés comme étant Arméniens. Plus tard, ce fait a également été reconnu par des scientifi ques arméniens. (20)

Il convient de noter que l’arménisation, qui a commencé bien avant l’arrivée de la Russie dans la région, s’est abattue sur la famille princière de d’Hassan Djalal, que l’on a commencé à appeler les Djalalyan. Le Catholicos albanais, Isaië Hassan Djalalyan, qui détenait le trône patriarcal en 1702-1728, décrit dans son célèbre ouvrage, Une brève histoire du pays albanais (21), les racines et les origines des Albanais, et note les constantes tentatives des Arméniens de s’approprier la culture et la foi albanaises, ayant obtenu le soutien des pays souverains. Dans ce livre, le Catholicos albanais affi che avec tristesse qu’à maintes reprises les Arméniens réussirent, et qu’il était probablement le dernier des descendants des Albanais «régnant sur sa terre

Tout le XVIIIe siècle s’est déroulé dans une lutte pour la suprématie entre l’Église arménienne d’Etchmiadzin et l’Église albanaise de Gandzasar, cette dernière ayant perdu. Au lendemain de l’avènement de la Russie tsariste dans le Caucase, au début du XIXe siècle, l’Église albanaise perd son statut et les autorités russes s’appuient sur Etchmiadzin. L’écrivain arménien du XIXe siècle, Raffi (Akop Melik-Akopyan), dans son ouvrage Mélikats du Khamsa a écrit à propos de Gandzasar : «On sait que le catholicossat d’Aghvank a existé pendant quinze siècles, depuis l’époque de Grigoris (petit-fi ls de Grégoire 1er l’Illuminateur) jusqu’en 1828. Divers monastères du pays Aghvank ont servi de résidence au Catholicos, et plus récemment, le monastère de Gandzasar dans la province de Khatchen au Karabakh (22). Nous ne devons pas oublier que le diocèse du Catholicossat d’Aghvank n’était pas seulement le Karabakh, mais aussi Gandzak, Chemakha, Nukha, Derbent et d’autres provinces.» (23) Raffi écrivait à propos des chrétiens du Karabakh «Ce peuple est habitué à vivre indépendamment d’Etchmiadzin, à avoir sa propre gouvernance spirituelle, dont le catholicossat d’Aghvank faisait partie depuis des siècles (24)

Des documents russes contiennent (25) une lettre du dernier patriarche albanais, Israël, qui note avec colère le fait de l’abolition progressive de l’Église albanaise et sa subordination au Catholicos d’Ararat (c.-à-d. d’Etchmiadzin), qui n’avait rien à voir avec les Albanais, dont le patriarcat était au Karabakh dans le monastère d’Amara (région de Khodjavend, Azerbaïdjan). Le patriarche indique qu’ils sont Arméniens par la foi (monophysites-grégoriens), et n’ont jamais obéi ou appartenu au patriarcat d’Ararat (Etchmiadzin).

«Lettre du Patriarche Aghvan d’Israël au Gal Goudovitch en date du 19 août 1806. Il y a environ 1 400 ans, Krikoris, petit-fi ls du vénérable Arménien St. Grégoire, a été consacré, par le patriarche et par tous les Arméniens du Karabakh, d’Elisavetpol, de Chaki et du Chirvan, au monastère arménien qui se trouve au Karabakh, c’est-à-dire que la région d’Aghvan a été rattachée à l’éparchie dans son organisation spécifi que et son intégralité, concordant à ce monastère, et cela s’est poursuivi jusqu’à maintenant, et les anciens patriarches d’Ararat n’y pouvaient rien et n’y ont jamais touché, mais sont toujours restés dépendants et à l’entière disposition d’un patriarche d’Amarsk...» (26)

Cependant, malgré les demandes du patriarche albanais, l’autocratie a procédé à une nouvelle subordination des églises albanaises à Etchmiadzin. Les autorités russes ont ignoré le fait que les paroissiens de l’Église arménienne et de l’Église albanaise étaient des peuples complètement diff érents. (27) S’en est suivie une émeute, dirigée par le patriarche albanais Israël. En conséquence, l’autocratie a réprimé la révolte, les églises et le troupeau albanais ont été subordonnés au Catholicos d’Etchmiadzin et le patriarche albanais Israël a été expulsé. Peu de temps après, il mourut, et l’Église d’Etchmiadzin supplia l’autocratie de lui donner la subordination de l’Église et de ses ouailles du Karabakh et de Gandja. (28) La demande d’Etchmiadzin fut exaucée et, avec l’aide de l’autocratie, l’Église arménienne a complètement nettoyé et détruit le patrimoine, les temples, la culture et les peuples d’Albanie du Caucase.

Tout cela s’est produit dans le contexte de la colonisation massive des Arméniens de Turquie, d’Iran et du Moyen-Orient vers le Caucase du Sud aux XIXe et XXe siècles, principalement au Karabakh, à Zanguezour et à Erevan. Selon le témoignage du scientifi que russe N. Chavrov, qui fut directement impliqué dans la colonisation du Caucase, au début du XXe siècle, «sur 1 300 000 âmes vivant en Transcaucasie, plus d’un millions d’Arméniens ne sont pas autochtones et ont été installés par nous...» Parmi les régions où se sont installés les colons arméniens, l’historien mentionne la «partie montagneuse de la province d’Elizavetpol», c’est-à-dire l’actuel Haut-Karabakh. Dans le même temps, Chavrov souligne qu’en particulier, «… ayant largement utilisé le parjure, les Arméniens, des étrangers sans terre, se sont emparés de vastes espaces des terres de l’État». (29) Il convient de noter que la colonisation massive des Arméniens dans le Caucase du Sud a eu lieu pendant la période de l’URSS et après son eff ondrement. Elle s’est accompagnée de l’expulsion méthodique et de l’éviction de la population azerbaïdjanaise dans les années 1918-1920, 1947-1953 et 1988-1993. Pendant le seul confl it du Karabakh, environ un million d’Azerbaïdjanais ont été expulsés d’Arménie et du Karabakh.

Cependant, il s’agit-là d’un sujet pour une autre étude, et cet article visait à évoquer brièvement les raisons du confl it entre les peuples arménien et azerbaïdjanais sur le patrimoine historique, spirituel et architectural. L’objectif est d’arrêter toute tentative de discorde et de confl it entre les deux peuples, et à ce sujet, il est important de savoir quels événements historiques et contextes politiques ont conduit au confl it afi n d’éviter qu’il ne se répète à l’avenir.


NOTES :

1. «Удин - Аркадий Владимирович из Кировобада - вымысел армянского агитпропа», 25 мая 2012 года - https://www.turantoday.com/2012/05/blog-post_25.html)

2. арм. Աղռւաճղ, Алуанк; груз. რანი, Рани; парф. Ardan; сирийск. Аран; арабо-персид. Ар-Ран, Арран

3. Страбон. География: в 17-ти кн. (перевод Г.А.Стратановского). Л., М., 1964. кн. XI, гл.4.

4. Алексидзе З.Н. Предварительное сообщение об идентификации и дешифровки албанского текста, обнаруженного на Синайской горе // ThehistoryofCaucasus. The scientific-public Almanac. Issue No1, Baku, 21-24 of may 2001.

5. Православная энциклопедия. М., 2000. Т.I, с.458.

6. Архимандрит Хачатур Дадян. Записки об «Истории Страны Агванк» Св. Эчмиадзина. Эчмиадзин, Арарат, 1896).

7. Аракел Даврижеци. Книга историй. (пер. Л. А. Ханларян). М. 1973, Глава 24,

8. Мамедова Г.Г. Культовое зодчество Кавказской Албании (IV–XIV вв.). Баку: Элм, 1997, c. 97-99

9. Орбели И.А. Избранные труды, Ереван, 1963 г., статья «Албанские рельефы и бронзовые котлы», с.358.

10. Нефритовая кинжальная рукоять хранится в Кавказском Музее, (И.А.Орбели. Избранные труды, с. 149 // «Известиях Императорской Академии наук», 1909, VI серия, том III, No61, стр. 377-389

11. Saint-Martin M. «Mémories historiques et géografique sur l’Arménie», Vol. II, Paris, 1819, p 81

12. И.А.Орбели «Избранные труды», Ереван, 1963 г, стр. 150

13. Там же,с.155

14. Рашид Геюшев. Гандзасар, памятник Кавказской Албании. Баку, Элм, 1986 г.

15. Православная энциклопедия. Т.3. М., 2001. с. 349

16. Православная энциклопедия. Т.3. М., 2001. с. 338-339

17. ЦГИА, справка 1907 г., фонд 821, опись 139 (173) единица хранения 96

18. Бархударянц М. Арцах – НАИИАНА инв. No1622, ч.I, с.160

19. Там же, с. 5

20. Ишханян Б. Народности Кавказа. Петроград, 1916

21. Есаи Хасан-Джалалян. Краткая история страны Албанской (1702-1722 гг.) (перевод Т. И. Тер Григоряна). Баку: Элм. 1989

22. Раффи. Меликства Хамсы. Перевод с армянского Л.М.Казаряна. Ереван, «Наири», 1991, с. 38

23. Указ. соч., с. 50

24. Указ. соч., с. 74-75

25. Акты, собранные Кавказской археографической комиссией (АКАК), под редакцией А.П.Берже. Том III. Тип. Главного управления наместника Кавказского. Тифлис, 1869, с. 79-81

26. АКАК, с. 79

27. Предписанiе гр. Гудовича ген.-м. Небольсину, отъ 11-го ноября 1807 года, No 603. АКАК, том II, 151, с. 80

28. Записка Армянского apxieпископа Ioаннeca, поданная гр. Гудовичу. АКАК, том III, 152, с. 81

29. Издание русского собрания. Шавров Н.Н. «Новая угроза русскому делу в Закавказье», СПб., 1911, стр. 59-61).

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